Crise du coronavirus: remise en perspective économique

L'épidémie de coronavirus pourrait bien provoquer la crise économique la plus grave depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et ce, pour trois raisons. Premièrement, la crise a des répercussions à l'échelle mondiale. Deuxièmement, ses effets négatifs affectent un nombre de secteurs économiques inédit. Troisièmement, le choc ébranle aussi bien l'offre que la demande. Et pourtant, l'espoir est permis. Parce que les crises précédentes nous y ont préparés – d'un point de vue strictement économique – et parce que, comme toujours, une crise est synonyme de nouvelles perspectives.

Mais commençons par le commencement. Quels sont les effets concrets de la crise du coronavirus sur l'économie? Les mesures de confinement nationales ont créé une onde de choc du côté de la demande. Les fermetures de magasins et les interdictions de se réunir empêchent les consommateurs d'acheter marchandises et services. La crise économique qui se profile à l'horizon ne freine pas seulement les envies d'achat des consommateurs, elle met également un coup d'arrêt aux investissements des entreprises, de plus en plus exposées aux problèmes de liquidités. Du côté de l'offre, les fermetures d'usines se traduisent par des pertes de production et par une rupture de la chaîne de livraison. Les collaborateurs confinés et les mesures d'hygiène mises en œuvre dans les entreprises sont un facteur aggravant pour la productivité. Enfin, le franc fort renchérit les produits locaux, lesquels souffrent d'une baisse de la demande sur le marché intérieur et à l'étranger. La double onde de choc qui s'est propagée à travers l'offre et la demande a enrayé brutalement la production et aurait provoqué une hausse spectaculaire du chômage sans l'intervention immédiate des acteurs politiques.

Heureusement, les crises précédentes nous ont préparés à des récessions de ce type, depuis la grande dépression jusqu'à la crise financière de 2008 en passant par les crises du pétrole et l'éclatement de la bulle Internet. Les experts et les acteurs économiques ont appris du passé et mis au point tout un arsenal de mesures en vue d'amortir les conséquences d'une dégradation brutale de la conjoncture. La décision rapide et sans précédent du Conseil fédéral de soutenir l'économie par du chômage partiel et des aides à la trésorerie permet d'éviter les faillites en chaîne, le chômage et la destruction du tissu économique. L'idée poursuivie avec ce train de mesures est de mettre l'économie en «mode Pause» afin qu'elle puisse se relever plus rapidement après la crise.

Qu'est-ce qui permet de penser que cela va fonctionner? Contrairement à la crise financière ou à la bulle Internet, la crise actuelle a pour point de départ un virus et non une erreur d'analyse systémique des acteurs économiques. Même si les conséquences économiques sont identiques, à savoir une récession et un effondrement boursier, la compétitivité du système économique n'est pas directement remise en cause, pour autant que les mesures de soutien publiques se montrent efficaces. Au contraire, même. Depuis quelques semaines, aucun entretien d'affaires ne commence sans que l'on s'enquière de la santé de son interlocuteur et de sa situation personnelle. Pour l'heure, la confiance entre partenaires commerciaux s'en trouve plutôt renforcée et tout le monde s'accorde à voir dans la gestion de la crise un objectif prioritaire. Cela ne fait aucun débat. À terme, sans intervention de l'État ou dans l'hypothèse d'un confinement prolongé, les luttes de redistribution risquent de saper ce fondement commun. Mais en l'état, les atouts susceptibles d'être joués en matière de politique économique sont encore entre les mains des acteurs économiques, politiques et sociaux.

Il ne s'agit certes pas de minimiser les risques liés à la crise actuelle. En plus des luttes de redistribution qui se profilent, on peut s'inquiéter de savoir combien de temps les États résisteront à une charge financière hors du commun. En Suisse, l'un des pays les moins endettés au monde, cette question représente un enjeu moins important. Mais que feront des pays comme le Japon, l'Italie ou les États-Unis, dont le taux d'endettement est d'ores et déjà largement supérieur à 100% de leur produit intérieur brut? Le coronavirus pourrait bien déclencher une nouvelle crise de l'endettement public, avec des retentissements sur l'économie privée et le système financier. À ce stade, les mesures non conformistes prises par les banques centrales pourraient bien être la dernière bouée de sauvetage. Mais même si les fonds requis sont mis à disposition, le travail de réorganisation auquel devra se livrer l'État reste colossal. Il s'agira premièrement de faciliter le déblocage des fonds afin d'éviter les faillites. Deuxièmement, il faudra éviter l'écueil des profiteurs, dont les abus peuvent mettre à mal l'État. Au-delà de la Suisse, cette prouesse devra être accomplie dans le plus grand nombre possible de pays si l'on veut éviter le pire. Troisièmement, enfin, même si des effets de rattrapage sont à prévoir à l'issue de la crise, une grande part des performances économiques sera irrémédiablement perdue. C'est la raison pour laquelle les estimations conjoncturelles varient autant d'un institut de recherche à l'autre. La ZKB fait preuve d'optimisme en annonçant un recul de 0,5 pour cent, alors que le BAK table sur une baisse de 2,4 pour cent. S'agissant de 2021, c'est le Seco qui se montre le plus optimiste puisqu'il parie sur une croissance de 3,3 pour cent, tandis que les autres instituts l'évaluent aux alentours de 1 pour cent.

La pandémie du coronavirus va créer ou accélérer certaines évolutions et ouvrir du même coup de nouvelles perspectives. À court terme, le secteur temporaire va constater que les prestataires de services de l'emploi ont un rôle pertinent à jouer en situation d'urgence. La demande de travail s'est fortement déplacée du jour au lendemain. Parallèlement aux lourdes pertes essuyées sur les marchés classiques, le secteur de la santé, la logistique, le colisage, l'agriculture, les services informatiques et le secteur du nettoyage ont exprimé des besoins urgents de personnel supplémentaire. Les prestataires de services de l'emploi apportent chaque jour une contribution majeure dans ce rôle de soutien. À moyen terme, de nouvelles opportunités vont se présenter aux entreprises de travail temporaire. Le confinement oblige les employeurs et les employés à faire preuve d'une flexibilité dont certains pourraient bien ne plus vouloir se passer après la crise. Dans le même temps, la situation des free-lances montre à quel point le statut d'indépendant est une forme de travail exposée en temps de crise. Le travail temporaire, avec ses services, propose une voie médiane entre les extrêmes qui s'annonce captivante. À plus long terme, les entreprises et les actionnaires se poseront la question de savoir dans quelle mesure il est possible de relocaliser certaines prestations stratégiques délocalisées en Chine afin de mieux répartir les risques. La relocalisation de la production nécessitera une main-d'œuvre en plus grand nombre et autrement formée. En leur qualité de spécialistes du marché du travail et de l'intégration, les prestataires de services de l'emploi seront à même d'accompagner cette transition. Ces perspectives montrent qu'en dépit des résultats négatifs enregistrés dans de nombreux secteurs, le pessimisme n'exclut pas forcément la confiance. Acteurs du secteur temporaire, contribuons à relever les défis qui se présentent à nous tous!